mardi 29 mars 2016

Des noeuds d'acier, Sandrine COLLETTE



Quatrième de couverture :

Avril 2001. Dans la cave d’une ferme miteuse, au creux d’une vallée isolée couverte d’une forêt dense, un homme est enchaîné. Théo, quarante ans, a été capturé par deux frères, deux vieillards qui ont fait de lui leur esclave.
Comment a-t-il basculé dans cet univers au bord de la démence ? Il n’a pourtant rien d’une proie facile : athlétique et brutal, Théo sortait de prison quand ces vieux fous l’ont piégé au fond des bois. Les ennuis, il en a vu d’autres. Alors, allongé contre les pierres suintantes de la cave, battu, privé d’eau et de nourriture, il refuse de croire à ce cauchemar. Il a résisté à la prison, il se jure d’échapper à ses geôliers. 

264 pages, Éditions Le Livre de Poche, janvier 2014



Ce que j’ai pensé de cette lecture : 

Théo vient tout juste de sortir de prison. À un peu plus de quarante ans, il a passé dix-neuf mois enfermé. Pourquoi ? Pour avoir frappé Max, son frère, qui est depuis gravement paralysé, ce dernier ayant eu une relation avec Lil, la femme de Théo. À peine libéré, Théo ne peut s’empêcher de rendre visite à celui qu’il a plongé dans un lourd handicap – chose qui lui était formellement interdite. Se rendant compte qu’il a fait une erreur, il se dit que le mieux pour lui est de se faire oublier quelque temps. Il part donc à la campagne, mais ne tarde pas à être enlevé par deux frères, Basile et Joshua, et il va devenir leur chien. Ces deux vieillards vont lui faire subir les pires sévices, endurer des souffrances atroces, et la vie en prison était un délice à côté de ce qu’il va devoir supporter.

La narration se déroule en focalisation interne – du point de vue de Théo – et nous allons suivre ce qui lui arrive. Plus précisément, Des nœuds d’acier est construit de la sorte : il est introduit par un médecin, qui nous livre le témoignage de Théo, son « journal intime », en présentant le tout comme un fait divers. Cela offre davantage de force au récit puisque les actes qui nous sont exposés sont prétendument réels. Et il va nous embarquer dans une histoire qui fait froid dans le dos, que dis-je, dans un livre tout aussi horrible qu’addictif. En effet, bien que les faits présentés soient très durs, que nous soyons témoins de tortures diverses, le lecteur est ici un peu voyeur, en proie à une curiosité morbide nous poussant à vouloir savoir jusqu’où tout cela va aller, et l’écriture de Sandrine Collette y est sans doute pour beaucoup.

Théo est un personnage peu sympathique – il a tout de même tabassé son frère, ruinant ainsi à jamais sa vie. Cependant, celui qui pourrait être considéré comme un « méchant » parvient à obtenir l’empathie du lecteur, puisqu’il devient à son tour victime. Enfermé avec un autre homme, qui est déjà à moitié mort quand notre personnage principal en fait la connaissance, il va devoir supporter la faim, la soif, les souffrances physiques, psychiques… Tout est fait pour les déshumaniser dans ce huis clos pour le moins épouvantable – et les deux vieux qui les maltraitent vont y parvenir, faisant d’eux des esclaves. Violent aussi bien psychologiquement que physiquement, Des nœuds d’acier mettront les nerfs du lecteur à rude épreuve, qui se demandera sans cesse si Théo va parvenir à se sortir de cette séquestration lors de laquelle « torture » est loin d’être un terme assez fort pour décrire la situation.



vendredi 25 mars 2016

Ida, Chloé CRUCHAUDET



Quatrième de couverture :

1887. L’Occident croit aux bienfaits du progrès, on s’émerveille devant les splendeurs des Expositions universelles. Ida, elle, s’ennuie au fin fond de sa Suisse natale. Pour soigner ses maladies imaginaires, son médecin l’envoie faire une cure sur la Côte d’Azur. Peu à peu, elle prend goût au voyage, et décide de s’embarquer pour Tanger. Elle y fait la connaissance de Fortunée, une jeune femme qu’elle sauve du couvent. Ensemble, elles montent une expédition et s’enfoncent dans la brousse africaine. Alors qu’Ida s’attend à l’exotisme charmant des Expositions universelles, elle découvre une tout autre réalité.

185 pages, Éditions Delcourt, novembre 2015



Ce que j’ai pensé de cette lecture :

Ida est une vieille fille trentenaire relativement peu agréable et hypocondriaque sur les bords. Lorsque son médecin de famille lui conseille de faire une cure sur la Côte d’Azur, elle rejette tout d’abord l’idée en bloc, le fait de voyager l’horripilant au plus haut point. Encouragée par ses proches (ne voient-ils pas là une façon d’éloigner cette femme bien trop exigeante ?), elle va s’y rendre, et finalement apprécier cela au point de décider de voyager toujours plus loin, allant jusqu’à prendre le bateau pour rejoindre le continent africain, ne se séparant jamais de son Encyclopédie de l’Exposition universelle. En effet, cette femme d’origine suisse a désormais un projet dans sa vie : écrire des guides pour relater ses voyages, décrire les peuples qu’elle y a croisés, ainsi que la faune, la flore, et autres données. Mais ses différents périples ne se feront pas sans anicroche plus ou moins grave...

Ida Von Erkentrud est ce que l’on appelle une femme au caractère bien trempé. Bien ancrée dans son époque (ce récit se déroule à la fin du dix-neuvième siècle), elle n’est pas prête à déroger aux règles de bienséance qui lui ont été inculquées, quitte à marcher dans la jungle en bottines et en robe. Et gare à ceux qui voudront lui dicter sa conduite, car notre héroïne n’a pas sa langue dans sa poche – et elle a, avouons-le, assez mauvais caractère. Cependant, elle va s’avérer être une femme surprenante qui va réellement évoluer au cours de son voyage, qui est ainsi également un cheminement personnel lors duquel Ida va profondément changer pour devenir très attachante. Prenons l’exemple de sa relation avec sa sœur : alors qu’au début de ce livre elles en étaient arrivées à se supporter difficilement, les lettres qu’elles s’adressent sont peu à peu emplies de tendresse, d’inquiétude, et d’une sincère affection, mettant ainsi à mal le proverbe « Loin des yeux, loin du cœur. »

Ida ne sera pas seule pour découvrir les marais et villages d’Afrique, puisqu’elle fait en France la connaissance de Fortunée, qui était destinée à entrer au couvent. Mais Ida, prise de pitié pour la jeune femme, va lui permettre d’échapper à son destin en l’embarquant dans sa traversée des pays. Cependant, Fortunée n’est pas tout à fait la personne à laquelle Ida pensait avoir affaire. Nous ferons la connaissance de nombreux protagonistes dans cette œuvre, allant de l’aristocrate à la guerrière africaine, en passant par la bonne sœur.

Chloé Cruchaudet nous offre ici une bande dessinée de grande qualité, avec de très beaux dessins sans doute faits à l’aquarelle et des couleurs magnifiques. Les traits des personnages sont particulièrement soignés et expressifs, tant et si bien qu’elle parvient à faire d’Ida une femme belle comme laide selon les situations. Mais elle nous offre aussi un ouvrage très enrichissant, où elle traite la question du colonialisme, qui m’a permis de découvrir un pan de l’histoire qui m’était inconnu, comme le roi Béhanzin qui régnait sur le Dahomey (actuel Bénin), dans lequel elle ’interroge sur la place de la femme dans la société de l’époque, parle des codes de la bienséance, et s’intéresse à de nombreux autres thèmes passionnants… 


mardi 22 mars 2016

Tu me trouveras au bout du monde, Nicolas BARREAU



Quatrième de couverture :

Lorsque Jean-Luc Champollion, jeune galerie de talent et don Juan à ses heures, reçoit la lettre d’une énigmatique correspondante, ce ne sont que les prémices d’un irrésistible jeu de piste amoureux. Que désire cette femme qui distille savamment les indices et tarde à se dévoiler ? Comment la convaincre de tomber le masque ? Jean-Luc devra-t-il aller jusqu’au bout du monde pour la tenir enfin dans ses bras ?

264 pages, Éditions Le Livre de poche, janvier 2016



Ce que j’ai pensé de cette lecture :

Jean-Luc Champollion tient une galerie d’art à Paris. Il vit avec Cézanne, son chien, et ne partage sa vie avec personne – ou plutôt, avec beaucoup, puisque Jean-Luc est ce que l’on appelle un séducteur, un homme à femmes. Mais un jour, il reçoit une lettre bien étrange signée d’une certaine Principessa, dans laquelle elle lui fait part des sentiments amoureux qu’elle lui porte et qu’elle lui cache depuis un long moment. Intrigué, il va lui répondre, et se livrera à un vrai jeu de piste pour découvrir l’identité de cette personne qui prétend le connaître, et qu’ils se sont même rapprochés « pendant quelques instants merveilleux ; tout près l’un de l’autre ». Néanmoins, Jean-Luc Champollion devra prendre soin de ne pas délaisser son métier et les artistes qu’il expose, qui sont parfois d’une grande sensibilité.

Ce livre nous embarque dans Paris et nous en propose de jolies descriptions, qui donneront envie au lecteur de se promener dans les rues de la capitale, à la recherche de cette galerie, d’un restaurant ou d’un autre lieu cité. La narration est très agréable, et la plume de l’auteur très fluide. De plus, il a mis en scène des personnages hauts en couleur. Tout d’abord, Jean-Luc Champollion, une sorte de dandy séducteur qui manie à merveille la langue de Molière. Avec sa Principessa, ils s’échangent d’ailleurs des lettres qui auraient très bien pu appartenir à un autre siècle. Ils se courtisent par les mots, et nous sommes témoins de leur pouvoir, puisque notre héros va tomber totalement sous le charme de cette mystérieuse femme, dont il ne sait finalement que peu de choses. Est-elle brune, blonde ou rousse ? Petite ou grande ? De quelle couleur ses yeux sont-ils ? Peu importe, car il s’aperçoit ici que l’amour est quelque chose de bien plus profond qu’une histoire d’apparences.

Au niveau des protagonistes, il y a également Soleil, une peintre antillaise qui est en tous points une caricature de l’artiste peu sûre d’elle, prête à tout abandonner et quelque peu capricieuse… mais qui est pourtant adorable ! On perçoit une réelle fragilité en elle, ce qui la rend très attachante et donne envie à notre galeriste de la protéger. Il y a aussi Aristide, un ami de Jean-Luc professeur à la Sorbonne, sans oublier Luisa, Jane, June, Marion, Bruno… Tous vont tenter d’aider notre héros à découvrir qui se cache derrière le pseudonyme de Principessa.

Ouvrage romantique, parfois triste, souvent comique (je pense par exemple à la scène qui se déroule gare de Lyon avec Cézanne), Tu me trouveras au bout du monde nous rappelle que le bonheur est juste là, devant nos yeux, mais que l’on est trop aveugle pour le voir, et qu’il n’est pas nécessaire d’aller au bout du monde pour le trouver.


vendredi 18 mars 2016

Le Plus Petit Baiser jamais recensé, Mathias MALZIEU



Quatrième de couverture :

Un inventeur dépressif rencontre une fille qui disparaît quand on l’embrasse. Alors qu’ils échangent le plus petit baiser jamais recensé, elle se volatilise d’un coup. Aidé par un détective à la retraite et un perroquet hors du commun, l’inventeur se lance alors à la recherche de celle qui « fait pousser des roses dans le trou d’obus qui lui sert de cœur ». Ces deux grands brûlés de l’amour sauront-ils affronter leurs peurs pour vivre leur histoire ?

154 pages, Éditions J’ai lu, avril 2014.



Ce que j’ai pensé de cette lecture :

Le Plus Petit Baiser jamais recensé, c’est l’histoire d’un inventeur dépressif, dont la dernière création en date est le pistolet à grenouilles. Cet homme rencontre une femme, ils échangent un très court baiser, et pouf, elle disparaît. Sur les conseils de Louisa, sa pharmacienne, il va prendre contact avec un détective privé quelque peu déjanté, Gaspard Neige, désormais à la retraite. Ce dernier va néanmoins lui confier Elvis, son perroquet. S’il parvient à reproduire le son des poumons et le goût des lèvres de cette mystérieuse inconnue, Elvis pourra remonter sa trace, et lui répéter pourquoi notre personnage principal souhaite la revoir et lui faire part de qu’il ressent pour elle. Ensemble, ils vont relever un « challenge d’inventivité amoureuse pour espérer retrouver la fille invisible ».

Après avoir lu Le Journal d’un vampire en pyjama, qui m’avait beaucoup touchée et que j’avais particulièrement apprécié, j’ai poursuivi la découverte de cet auteur avec Le Plus Petit Baiser jamais recensé. Verdict : waouh ! Cet ouvrage très poétique et un brin loufoque nous parle d’amour. La fragilité de ce sentiment, la peur de s’attacher, que l’amour ne soit pas partagé, de perdre la personne à laquelle on voue cette passion à la limite de l’absurde, l’importance de la beauté du cœur plutôt que du reflet que l’on peut voir dans une glace, et toutes ces choses folles que l’on peut faire par amour.

J’ai beaucoup apprécié les protagonistes en présence. Beaucoup de bonté et d’espoir émanent de ceux-ci. Le héros va aller jusqu’à créer des chocolats au goût de leur baiser afin de retrouver celle qu’il aime. Des idées géniales et extrêmement originales parsèment ce roman et en font un véritable petit bijou. J’ai particulièrement apprécié le personnage de Louisa, pharmacienne excessivement timide qui n’est pas insensible au charme de notre inventeur.

Quelle poésie se dégage de cet ouvrage de Mathias Malzieu ! C’est tout simplement magnifique. C’est à la fois un conte, une romance, un livre qui touche également au fantastique, le tout porté par une plume envoûtante et absolument sublime. L’auteur joue avec les mots tel un magicien pour nous proposer un récit d’une saveur toute particulière. J’adore, et je compte bien lire l’ensemble sa bibliographie : je fais désormais partie de ses fans !

Pour conclure, voici un extrait d’un poème écrit pour cette femme invisible : « Tous les livres de la bibliothèque se sont envolés. Ils se sont mis à battre leurs ailes-âges et leurs mots se sont imprimés dans les nuages. À chaque fois que l’on s’embrasse, ça recommence ».


mardi 15 mars 2016

Chaque soir à onze heures, Camille BENYAMINA & Eddy SIMON



Quatrième de couverture :

« Cette maison, la nuit, elle me fait peur. Il y a des bruits chaque soir, vers onze heures. Ça me réveille.
- Une présence comme un fantôme ?
- Ne te moque pas ! Je ne l’entends jamais rentrer, mais je perçois sa respiration à côté de moi. »

96 pages, Éditions Casterman, avril 2015



Ce que j’ai pensé de cette lecture :

La bande dessinée Chaque soir à onze heures, inspirée de l’œuvre de Malika Ferdjoukh, est signée par Camille Benyamina et Eddy Simon. Nous y découvront Willa, une lycéenne parisienne, fille unique dont les parents sont divorcés. Lorsque Fran, la meilleure amie de notre héroïne, organise une grande fête pour son anniversaire, Iago, le frère de Fran et petit copain de Willa, montre sa volonté de rester seul. Willa fait la connaissance d’Edern, un étudiant en lettres modernes et films d’épouvante. Celui-ci, qui salue sa prestation au saxophone, propose à la jeune femme de venir chez lui pour accompagner sa petite sœur au piano. Willa accepte et se rend dans cette grande maison qui se trouve au fond d’une impasse, dans laquelle des choses pour me moins étranges semblent se produire. En effet, Marnie, la petite sœur d’Edern, lui confie que chaque soir, à onze heures, des bruits se font entendre dans sa chambre, et qu’elle sait que quelqu’un s’introduit dans la pièce, car elle perçoit une respiration à côté d’elle…

Cet ouvrage est un savant mélange des genres. Il y est question d’histoires de fantômes, de roman d’amour, de thriller, de récit fantastique, d’intrigue familiale… Quel est cet être qui vient dans la chambre de Marnie ? Pourquoi a-t-on essayé par deux fois d’attenter à la vie de notre héroïne ? Et qui souhaite se débarrasser d’elle ? Qu’est-il arrivé aux parents d’Edern et Marnie, deux orphelins ? De nombreuses questions que l’on se pose, puis qui se résolvent au fur et à mesure de cette lecture.

J’ai particulièrement apprécié le personnage de Willa, notre héroïne qui veut comprendre le fin mot de l’histoire. J’ai adhéré à son caractère, à son calme et à sa réserve, en comparaison de Fran, son amie qui aime le luxe et se mettre en avant. Marnie m’a également beaucoup plu. On sent qu’un lourd secret est présent dans la demeure où elle vit, et le suspens va crescendo tout au long de l’ouvrage. Les autres protagonistes ne manquent pas non plus d’intéresser le lecteur.

Outre un scénario très efficace, il y a aussi un coup de crayon tout simplement splendide. J’ai lu il y a peu Violette Nozière Vilaine Chérie, roman graphique signé par ce même duo que j’avais beaucoup apprécié. Il en va de même pour Chaque soir à onze heures, qui est une vraie réussite. Je suis très sensible et admirative au travail de dessin et de mise en couleur, qui parvient à retranscrire les émotions à merveille.